Arthur Lamothe. L'Explorateur de territoires
http://www.cinematheque.qc.ca/affiche/hommage.html 2005/03/01
Pierre Véronneau, Conservateur, Cinéma québécois

Le titre ne nous rallie pas mais j'en conserve l'idée. Lamothe arrive au Québec en 1953. Il se retrouve dans une situation « désidentitaire » dans un pays en mal d'identité. Pour lui, cette notion renvoie au territoire et, en vrai Gascon, ce territoire est d'abord régional. En terre du Québec, il ne choisit pas Montréal comme lieu principal. Arthur se retrouve sur la Manouane, à la Manicouagan, au Labrador, sur cette Côte Nord où il croise déjà des Amérindiens. Mais à cette époque, il doit assurer son indépendance, tisser des liens et se doter de moyens lui permettant de vivre, et enfin, dire dans ses films les gens dont il se sent proche, les travailleurs québécois notamment. À travers tout cela, pendant dix ans, le cinéaste mûrit son projet filmique. Davantage que d'être néo-québécois, donc de se tourner vers lui-même, ce qui le nourrit, c'est de participer à la définition de la néo-québécité, c'est de se tourner vers l'autre.

L'Autre, il est là depuis Bûcherons de la Manouane (1962). Il s'agit de l'actualiser. Débute alors sa grande saga amérindienne, sans commune mesure dans l'histoire de notre cinéma et peut-être même dans celle du documentaire mondial. Une saga qu'il poursuit encore. De cette manière, il résout sa quête identitaire et trouve un écho à ses songes. Ou plutôt, la culture amérindienne fait écho à ses songes. Lui, l'exilé privé de territoire, se retrouve face à un peuple dont on ne reconnaît pas la terre originelle. Son destin est clair : il va mettre son métier, son talent, son coeur à construire la géographie de ce territoire dénié. Il va le montrer, il va donner la parole à ceux qui le décrivent et l'habitent, il va en faire le récit. Il met en pratique cette idée que l'Histoire construit l'identité des peuples. Jamais toutefois il ne s'identifiera à l'autre, il n'en prendra les attributs. Il absorbe une cause mais respecte les singularités en cause.

Personne de culture orale, l'Amérindien narre son histoire de multiples manières, personne de culture nomade, l'Amérindien définit son territoire en le marchant, en le chassant. Le cinéma de Lamothe adopte ces deux modes. Il se déplace à travers les contrées montagnaises, en explore les particularités et les symbioses, recherche les traces qu'elles recèlent. Celles qui disent l'occupation du sol, les viols commis par les Blancs, celles qui éclairent la réécriture de l'histoire à laquelle il faudrait procéder. Il écoute aussi le récit de l'autre, sa mémoire. Plus qu'une mémoire battante, il s'agit d'une mémoire dense et saturée, douloureuse aussi, qui n'a de cesse que de se conter, dans ses multiples variantes, comme tout vrai conte, dans ses répétitions aussi. Lamothe respecte la parole de l'autre dans son rythme itératif et lui laisse toute la place dont elle a besoin. Il refuse l'ellipse qui correspond au récit du Blanc et qu'il maîtrise pourtant très bien, il développe une esthétique en accord avec le discours de son interlocuteur, au risque de se faire reprocher de ne pas avoir d'esthétique narrative. Il se veut la voix de ceux qui réclament leur pays, qui dénoncent la conquête de l'Amérique, qui parlent de nos gestes ethnocidaires. Il retourne à leurs origines, il délimite les lieux qu'ils ont occupés, il témoigne de leurs communautés. Ce faisant il interpelle les autres Québécois sur le terrain de l'espoir car le territoire identitaire que son oeuvre embrasse est celui d'un Québec qui serait une terre partagée sans péril, sans amertume et sans mépris.

--> Arthur Lamothe sera présent à la plupart des séances.



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