Un référendum de l'ambiguïté
1992/10/20
Le Devoir
Hamelin, Jean-Marie (Ex-professeur à l'Université Laval)

Comment peut-on être à la fois Québécois et Canadien?

«JE SUIS contre la société distincte, dit un anglophone de l'Ouest. On est tous Canadiens.»

Il n'empêche que tout Canadien est né quelque part, même hors du pays.

Je suis un individu de quelque part, je viens d'un village, d'une ville, d'un coin de pays où plongent mes racines. Quand une langue, une culture, des coutumes, des liens économiques et sociaux, des mythes et une religion unissent un groupe assez important sur un même territoire, si une volonté commune s'affirme, cela devient un peuple soutenu par des institutions dont un gouvernement autonome. Autonome ne signifie pas isolé, clos, mais ouvert et relié à l'autre, aux autres.

Avant d'être Canadien, il faut être né à Kamloops, à Saint-Félicien ou ailleurs. Réunis, rassemblés par des visées communes, ces citoyens forment une communauté où la différence et la diversité contribuent à l'épanouissement de l'ensemble.

Je souscris à cette réflexion de Federico Mayor, directeur-général de l'UNESCO: «Beaucoup de peuples pensent que votre pays peut démontrer qu'il peut avoir, d'un côté, la différence, la société distincte, et en même temps l'harmonie.»

La question est la suivante: comment être à la fois Québécois et Canadien?

Le référendum québécois m'interpelle pour juger la valeur d'un texte conclu à Charlottetown le 28 août et qui continue à s'amplifier, à se préciser, à s'éclaircir, à se clarifier, à s'écrire en attendant sa traduction juridique.

Le texte juridique, enfin dévoilé avant le 26 octobre? Bientôt amendé et interprété par la Cour suprême, il sera en toute légalité et déférence, un texte différent du texte de l'accord politique voté le 26 octobre. C'est antidémocratique, c'est de la fausse représentation. Je dis NON à cette supercherie.

L'entente est bâclée. Au mieux, c'est un plan de travail sans unité, incohérent, un rafistolage sans élévation, sans vision d'avenir sans assises économiques à l'heure de la mondialisation. Tout cela sent l'improvisation, la frénésie pendant que le gouvernement signe le libre-échange nord-américain.

Comme citoyen, j'assiste à une mise en scène grossière et spectaculaire en vue de repousser les problèmes, les questions, les choix.

Est-il si difficile de reconnaître l'autre et de respecter l'autre dans sa différence profonde?

Les politiciens en sont-ils capables, dans une société médiatique où l'image domine et où le discours se réduit à des slogans et quelques chiffres?

Un peuple n'établit pas les fondements d'un pays comme on négocie un contrat de travail dans une entreprise.

La classe politique du Canada et des provinces a conclu derrière des portes closes et dans le bruit, un accord, des accords d'épiciers et non d'hommes et de femmes d'État. Mais, au fait, les femmes étaient drôlement absentes. Et les accords, très souvent, sont à négocier après le vote du 26 octobre. Voter OUI par fatigue? Quel argument de faiblesse!

Le pays va continuer à survivre après la consultation du référendum multiple, alourdi par ses 450 milliards de dette fédérale, géré par les mêmes politiciens incapables de traiter plus d'une question à la fois.

Le NON ne ferme pas la porte à un OUI ultérieur, si le projet de constitution est recevable par une majorité de Canadiens, dont les Québécois.

Le choix d'un pays ne comporte pas la certitude d'une solution mathématique. C'est un choix humain, donc soumis au hasard et à l'incertitude humaine. Les avantages et les inconvénients s'y retrouvent nécessairement. Un choix aussi complexe exige d'être conscient d'obstacles insidieux comme le ressentiment d'une voracité illimitée, le rêve d'homogénéité, la foi dans l'idéologie égalitaire.

L'entente du 28 août n'est pas un projet ni un complément de constitution; c'est une accumulation hétéroclite, un menu à la carte. C'est un marché aux puces, une vente aux enchères, la criée au plus offrant. C'est à vendre, c'est à acheter. Gains et pertes, débit et crédit.

Langage de boutiquiers, vocabulaire de gens d'affaires et pourtant l'économique est le parent pauvre de l'entente. L'attention économique, nous dit-on, c'est pour le lendemain de Meech, je veux dire le 27 octobre.

Dans tous les autres secteurs d'activités professionnelles, la réponse serait claire et nette: non, retournez faire vos devoirs.

Mon NON n'est pas un non au nationalisme du Québec (discutable comme toute idéologie) ni au nationalisme du Canada, mais un NON à une vision du Canada, à un projet de société que je rejette.

C'est par notre pensée, notre action, nos créations, notre culture, qu'on dit unique, que nous sommes, que nous étions distincts, nous-mêmes.

Le sommes-nous toujours, le voulons-nous? La culture, dit Federico Mayor, «c'est tout cet ensemble de langues par lesquelles nous exprimons notre façon d'être et de penser. C'est le style de vie, la danse et la chanson et c'est la cuisine et c'est comme on s'habille et réagit».

En quoi mon mode de vie, dans ma pensée et mon travail, diffère-t-il de celui d'un Ontarien? Ma musique, mon cinéma, les loisirs, ma télévision, mes sports commercialisés? La culture, est-ce plus que les industries culturelles? L'argent est-il le point commun nécessaire et suffisant?

Plusieurs défenseurs du OUI sont d'accord avec la proclamation du Conseil du patronat: «L'objectif souhaité, croyons-nous, par la majorité des Québécois et des Canadiens: un fédéralisme et une constitution renouvelés qui les aideront à demeurer parmi les plus performants et les plus privilégiés au monde» (LE DEVOIR, 22 septembre, p.8). Quelle vision et à quel prix!

Tournons la page, dit M. Ghislain Dufour. Donnons maintenant priorité à l'économie. Comme si les gouvernements ne faisaient pas que cela depuis des décennies de déficits et de dettes catastrophiques. La faiblesse du dollar est d'abord là. Et les spéculateurs, et les banquiers!

Les autochtones nous regardent, pieds nus sur la terre sacrée. Ils nous regardent et nous jugent. Il faut leur rendre justice, mais non les acheter à coups de centaines de millions de dollars, et en faisant miroiter le rêve de gouvernements autonomes fondés sur la race.

Dans toute réponse aux revendications autochtones, il faut retenir ce que dit Arthur Lamothe, cinéaste: «C'est lorsque les Indiens sont le plus Indiens qu'ils rejoignent l'universel.»

Nos démocraties occidentales sont bien défaillantes; elles volent au ras du sol. Les rapports de force demeurent au centre de la vie politique, rapports de force établis sur l'argent. La ronde référendaire se terminera bientôt, les gouvernements décideront, ce qui signifie, en dernière instance, quelques hommes seulement dont des non-élus.

Quant à nous, du Québec, il faut travailler ensemble vers l'avenir, dans l'excellence. Priorité: les exclus.

Désormais, je refuse de remettre mon sort politique entre les mains de politiciens de carrière. Je mise surtout sur les femmes et les jeunes d'ici et d'ailleurs. Et sur moi-même.

Si, comme le déclarait à Halifax le ministre Joe Clark quelques jours après la conclusion de l'entente, «les Canadiens ont retrouvé leur pays», les Québécois, eux, risquent-ils de perdre le leur?