L'équilibre des mondes | |
2001/06/09 | |
Le Devoir Thériault, Normand Il est Abénaqui et il lui dit: "Kuaï-Kuaî!" Il est Algonquin ou Attikamek et il lui dit: "Kué!" Il est Cri et il lui dit: "Wachiya!" Il est Huron-Wendat et il lui dit: "Te8etsionnonk8annion!" Il est Innu et il lui dit: "Ai!" Il est Micmac et il lui dit: "Welta' sualul" Il est Mohawk et il lui dit: "Kwé-kwé!" Il est Montagnais et il lui dit: "Kué-kué!". Il est Naskapi et il lui dit: "Waachiyaa!" À chacun d'entre eux, un Québécois, à moins d'être ethnologue ou anthropologue, ne saurait affirmer qu'un simple "bonjour!" en retour de ces propos reçus tiendrait de la politesse élémentaire. Tel est en effet le sens de ces mots que les habitants des Premières Nations lui auraient alors adressés. Depuis 400 ans, le Blanc et celui qu'il appelait il n'y a pas longtemps encore le "sauvage" se côtoient sur le même territoire. Pourtant, chacun d'entre eux vit dans un univers parallèle. Ou pire, dans un état où la supériorité de l'un tient de l'infériorité dans lequel il garde l'autre. Il suffit de revoir Les Bûcherons, le film d'Arthur Lamothe, pour se remettre en mémoire cet Indien, celui qui vit en famille sous la tente, non dans un "campe", pour se souvenir comment on lui attribue comme lieu de coupe ces broussailles que le vrai bûcheron dédaigne. Il y a 25 ans, un grand pas a été toutefois franchi quand, en signant la Convention de la Baie James, le gouvernement québécois reconnaissait de façon juridique les droits ancestraux des Premières Nations sur leur territoire. Et pourtant, plusieurs s'interrogent toujours sur la nécessité d'établir dans les territoires du Grand Nord des gouvernements autonomes dont les structures s'inspirent directement de la démocratie occidentale: il suffit d'imaginer le tollé si de tels gestes étaient repris pour les zones sises à proximité des territoires urbains. Comprendre En fait, entre ces peuples, ceux qui forment les Premières Nations et les autres dits fondateurs, l'incompréhension persiste. De la Loi sur les Indiens donnée en 1875, avec l'objectif avoué de réaliser au plus tard en 1930 l'intégration, voire l'assimilation, complète des bourgades visées, le Blanc retient surtout qu'elle exempte certains citoyens de l'obligation de la taxation quand l'autre souligne qu'il s'agit d'une simple mise en tutelle, d'un encadrement par la création de "réserves", qui lui nie tout pouvoir de décision, du droit à l'autonomie. Pourtant, "dans un passé qui n'est pas si lointain, nos ancêtres ont reçu les nouveaux arrivants et ils les ont aidés. La première partie de l'histoire de nos relations en est une de partenariat. Ce n'est que plus tard que l'humeur de l'invité a changé. Depuis 1800, nous avons eu à subir les exactions de notre partenaire devenu désormais maître des lieux, et nous avons été déclarés étrangers dans notre propre monde. Oui, il faudrait réécrire l'histoire. Il faudrait écrire une histoire qui soit moins insultante pour nous, les citoyens des Premières Nations. Nous avons une grande part à cette histoire, mais cette part nous est aussi niée, comme fut nié notre attachement à nos terres, comme furent niées nos contributions à la survie, à la vie et à la philosophie. Cette histoire, il nous faudrait la partager, il faudrait tous la partager sans exclusion aucune. Il serait urgent de l'enseigner, de la diffuser, en un mot d'apprendre à la raconter." Au sénateur Gill, Québécois et Abénaki métissé, que répondre? Il est difficile d'admettre une ignorance. Il est toutefois possible de taire des préjugés. Ce qui se fait de plus en plus. Comme il est possible de démontrer une ouverture d'esprit. Les actions que mènent "Terres en vue" s'expliquent par une telle attitude. Le festival Présence autochtone sera dès lundi présenté en territoire montréalais: 11 jours pour tenter de comprendre ces premiers habitants de trois continents donnés à tous en partage, de saisir cette réalité qui est en fait un héritage commun. Au-delà des témoignages sur la condition difficile donnée à des peuples, il y a aussi un monde de contes, de légendes, d'oeuvres d'art à fréquenter. L'occasion est donc offerte de se mettre en relation avec la différence. C'est seulement par le partage que peut s'établir l'équilibre entre les mondes. |