Le plus québécois des Gascons
2005/02/26
Journal Le Devoir
Odile Tremblay

La Cinémathèque québécoise consacre enfin une rétrospective au cinéaste Arthur Lamothe. Du 2 au 30 mars, 14 films, fictions et documentaires confondus, redisent son amour des gens et des paysages d'ici.

Arthur Lamothe possède sept vies, comme les chats. Un matou et une chatte glissent justement entre salon et cuisine de la jolie petite maison qu'il habite avec sa nouvelle compagne. Le cinéaste précise relever de sept accidents cérébro-vasculaires et se décrit comme un miraculé. Mais Arthur Lamothe, né en 1928, est également, du haut de ses sept vies, un futur marié qui convolera cet été dans la réserve de Maliotenam, près de Sept-Îles. C'est aussi dans cet endroit de la Côte-Nord qu'il sera enterré. Son coeur bat là-bas, chez les Innus, ses amis, ses frères.

Drôle de parcours qui a emmené ce Gascon, fils de viticulteur, au Québec, en 1953, avec 4 $, un fromage et une bouteille de vieil armagnac en poche. Plus tard cinéaste, il allait devenir une mémoire audiovisuelle amérindienne. La quête identitaire à travers les cultures constitue la ligne de force de son oeuvre.

Il a pratiqué trente-six métiers, de bûcheron à vendeur itinérant de casseroles. Après des études universitaires en économie, notre homme a travaillé à Radio-Canada, puis à l'ONF de 1961 à 1966, développant une amitié indéfectible avec Gilles Carle. Par la suite, Lamothe allait coscénariser le film de Carle, La Mort d'un bûcheron, et Carle, celui de Lamothe, Équinoxe.

Retour en 1962. Son remarquable Les Bûcherons de la Manouane, sur fond de solitude, se marie aux chants des forestiers, à leurs espoirs, alors que les Amérindiens de la Haute-Mauricie, croisés, aperçus, apparaissent sur son écran. Sa première oeuvre sur les Montagnais est toutefois Le Train du Labrador, où il aborde ce train de Schefferville-Sept-Îles montant aux mines à travers le territoire autochtone.

Sociétés parallèles

Bientôt, Lamothe se passionnera pour ces sociétés parallèles qui vivent en retrait des Blancs, quoique influencées par eux, captant souvent le chant du cygne de traditions en train de s'effacer. Le cinéaste à l'accent gascon a même filmé le passage des tentes aux maisons chez les Montagnais de Saint-Augustin, sur la Basse-Côte-Nord, précieux document montrant le nomadisme qui s'efface au profit de la sédentarisation.

Il fallait un néo-Québécois pour se pencher si étroitement sur le sort des Amérindiens. Lamothe, à l'instar de bien des Européens, avait joué aux cow-boys et aux Indiens pendant son enfance et conservait d'eux une vision romantique, à plumes, façon Jean-Jacques Rousseau. «Au début des années 50, bien des Québécois les appelaient encore "les sauvages". Les films faits ici sur les Indiens laissaient à désirer, jamais tournés dans leur propre langue, collés aux regards des Blancs.»

Alors, il a plongé, montant chez les Innus de la Romaine ou de Maliotenam, captant les traditions de la tente à suer, de la scapulomancie, également la chasse au caribou, les légendes de carcajou, travaillant souvent en tandem avec l'anthropologue Rémi Savard et Thérèse Rock de la réserve de Betsiamites.

Arthur Lamothe déclare avoir voulu briser les préjugés collés aux Amérindiens. Jamais saouls ni gelés, les autochtones de ses films. Pas violents non plus. «J'ai fait le choix de ne pas montrer les aspects négatifs, précise-t-il. Tout le monde dit qu'ils sont saouls, mais les richesses de leurs sociétés sont trop souvent ignorées. Les Indiens sont fiers de mes films, et ça me rend heureux d'avoir pu contribuer à les voir relever la tête», dit-il. D'autres après lui ont capté sur film la crise rouge.

Ses 81 films captant la réalité innue à partir des années 70 (souvent encore inédits), il a travaillé l'an dernier à les mettre sur support numérique avec l'appui de l'ONF. Lamothe oeuvre actuellement à leur mixage et les enverra sur vidéocassettes et DVD dans les centres d'archives amérindiens, mais aussi à l'Université de Montréal et à l'Université Laval, pour la postérité.

Arthur Lamothe a également abordé la réalité des Blancs, les travailleurs manuels surtout, dont il a longtemps partagé le quotidien à son arrivée au Québec. Le mépris n'aura qu'un temps (1969), commande de la CSN que le cinéaste a transformée en chant de révolte des damnés de la Terre, connut à l'époque un succès boeuf, malgré ses moyens artisanaux. Aujourd'hui, le cinéaste le juge un peu daté mais porteur d'une voix de dissidence.

Arthur Lamothe est bien mieux considéré comme documentariste que comme cinéaste de fiction. Poussière sur la ville fut mal accueilli en 1965. Le Silence des fusils, tourné près de 30 ans plus tard, constitue de son propre aveu un film loupé qui ne correspond pas à ses intentions d'auteur. Mais Équinoxe (1986), tourné dans les îles de Sorel avec Jacques Godin dans la peau d'un homme qui retrouve ses racines et règle ses comptes avec elles, mérite vraiment d'être revu. Une poésie flotte sur cette oeuvre presque artisanale, incomprise en son temps.

Quand Arthur Lamothe regarde derrière lui, il se sent fier de quelques films: Bûcherons de la Manouane, Le Train du Labrador et sa série amérindienne. Paris lui avait déjà consacré deux hommages. Pour la première fois, la Cinémathèque québécoise s'apprête à le célébrer à son tour. Difficile d'être prophète... dans son pays d'adoption.