Bûcherons de la Manouane.
http://www.cam.org/~lever/Films/films.html 2002/02/02
16 mm, n. & b., 27 minutes, 46 secondes, 1962

Canada. L'Office national du film présente Bûcherons de la Manouane. [Générique de fin] Un film d' Arthur Lamothe. Images : Guy Borremans, Bernard Gosselin. Enregistrement du son : Claude Pelletier. Collaborateur au montage : Jean Dansereau. Trame sonore : Maurice Blackburn, Pierre Lemelin. Mixage : Ron Alexander, Roger Lamoureux. Production: Fernand Dansereau, Victor Jobin. Bûcherons de la Manouane. Office national du film. Canada © MCMLXII.

Tournage : Janvier 1962, dans la haute Mauricie
Coût : 8, 736 $
Titre de travail: Les bûcherons
Copie : ONF 16 mm et vidéo, Cinémathèque municipale de Montréal

Ce qu'on en a dit :

Jean Basile : J'ai vu ce film trois fois. Les trois fois, il m'a frappé par sa conscience, sa bonne volonté, sa générosité. Malheureusement, tel qu'il nous est présenté, c'est un film primaire qui a tendance, de surcroît, à se perdre dans les sentines thermo-politiques au lieu de s'en tenir à son sujet. D'autre part, bande sonore et images font deux. C'est, je pense, son défaut le plus agaçant. (2)

Alain Pontaut : Jugé par Jean Rouch l'une des meilleures tentatives documentaires exécutées par les cinéastes de l'ONF, il faut voir, ou revoir, cet exposé sincère et attachant de la dure existence menée par un groupe de bûcherons dans les forêts enneigées de la Manouane [sic ]. Le film d'Arthur Lamothe est un acte de sympathie humaine en même temps qu'un remarquable document. (20, p. 7)

Robert Daudelin : A l'optique folklorique propre à ce genre de sujet, Arthur Lamothe a choisi de substituer une démarche engagée, interrogative et, il va sans dire, créatrice. Bûcherons de la Manouane, au-delà du document anonyme qu'il aurait pu être, se présente comme un témoignage personnel: les images du film d'Arthur Lamothe n'appartiennent pas à une réalité brute et brutalement exposée, mais à une réalité intimement sentie et profondément personnalisée. Seule une approche totale du documentaire pouvait permettre cette fusion: la vérité documentaire se définissant comme la vérité du cinéaste proposée à la vérité du document. Bûcherons de la Manouane eût-il tourné dans l'esprit du cinéma-vérité, nous aurions sans doute assisté à un long récital de gestes; Arthur Lamothe, en choisissant de ´donner à voirª, plutôt que de ´voirª, nous invite au contraire à regarder de près une aventure humaine et à lui donner un sens.
L'histoire de ce village d'hommes retirés de la civilisation, ´pour accomplir des travaux exemplairesª, nous émeut parce que les images que le cinéaste nous en donne nous rappellent constamment que l'homme qui travaille dix heures par jour et qui engloutit ses repas en dix minutes, est aussi un homme qui s'ennuie de sa fiancée, de sa mère ou tout simplement de ´la terreª. De ces bûcherons, Arthur Lamothe nous a donné ses images à lui; au lumberjack, gros buveur et friand de filles, il a opposé le portrait d'un homme exilé et triste qu'une organisation ´respectableª exploite ´décemmentª. Et si, plus d'une fois, Bûcherons de la Manouane a évoqué pour nous Printemps de René Bail, sans doute est-ce dû à ce que, pour les hommes simples, la sincérité tient lieu d'esthétique. (5, p. 40)

Yvon Lavallée : Au fait, nous sommes heureux de connaître, par un monologue informateur, les données statistiques concernant les 8 000 bûcherons du Québec; cependant, tout au long du film, cela devient un peu pompeux. (...) La vie dure et austère, l'isolement de l'esprit et du coeur, la misère des Indiens, les salaires de crève-faim des bûcherons nous émeuvent et nous remuent profondément. (11, p. 69, 70)

Jean Pierre Lefebvre : Bûcherons de la Manouane a principalement une importance spirituelle. Qu'il ne soit pas tout à fait ´achevéª et poli ne découle toutefois pas uniquement des censures imposées à Lamothe par l'ONF; cela provient aussi de la profusion d'idées, de gestes et de faits que l'auteur a voulu y mettre. Mais loin dêtre un signe de faiblesse, ce dernier indice démontre la santé morale de Lamothe. S'il avait débordé à tort les cadres de son sujet, on pourrait lui en faire le reproche; mais le film possède malgré tout une forte unité, parce qu'il est axé sur la description d'un individu bien particulier qui s'appelle un bûcheron, parce qu'il est axé sur ´l'humainª. Nous avions vu jusqu'à ce jour de nombreux films sur la coupe du bois et sur la drave, mais tous étaient de mauvais documentaires mettant en relief les seules valeurs folkloriques du sujet. (12, p. 12)

René Prédal : Le sujet n'était pas original, mais Lamothe a su le renouveler en portant toute son attention sur l'homme et non pas sur le travail du bois proprement dit, la beauté des paysages ou le folklore des fêtes traditionnelles. Bien que l'image finale montrant un homme sortant les chevaux de l'écurie par moins cinquante degrés soit une des plus belles du court métrage canadien, le film évite presque toujours le lyrisme qui cache habituellement la rigueur des conditions de travail. Lamothe n'esquive pas ces problèmes; bien au contraire il fait sentir au spectateur l'aspect pénible et dangereux de cet emploi: dix heures de travail journalier, dans la neige, seulement coupé par un repas pris très rapidement et en commun. Ces hommes sont, pendant plusieurs mois, isolés de tous, de leurs femmes, famille et maison. C'est donc un véritable document sociologique mené avec simplicité qui suit l'homme de son lever à son coucher dans d'affreux baraquements en accumulant les notations précises. Ce point de vue personnel permet au film de garder une unité solide malgré la diversité des séquences. (21, p. 71-72) Yvan Patry : Pénétrer la vie du bûcheron, ne devient alors que constater sa dépossession. Le cinéma direct de Lamothe n'incarne pas simplement une conversation plus spontanée, ne montre pas seulement une caméra plus en contact avec le sujet; il témoigne de la présence du regard d'un homme sur d'autres, d'un regard engagé, viril et non point compatissant. Lamothe est probablement un des premiers chez nous à faire du cinéma direct A LA PREMIERE PERSONNE. (...) Mais avant tout, ce qui nous permet de considérer Bûcherons de la Manouane comme l'oeuvre la plus réussie de Lamothe, c'est à la fois la simplicité et la richesse de sa forme. Tout y est à la fois signe et évidence. Le travelling dont beaucoup de cinéastes canadiens se servent à des fins esthétisantes trouve ici son achèvement et sa justification. Il crée une ambiance particulière: son mouvement et sa trajectoire rejoignent les sentiments mêmes qui entourent la vie du bûcheron. (...) La bande sonore transpose aussi fidèlement l'inspiration du cinéaste. Les chansons des bûcherons rendent leur nostalgie, nostalgie que l'on retrouve ches les Indiens dont la condition est toujours mise en parallèle avec celle du Québécois. (18, p. 117-118)
Tout d'abord, Bûcherons de la Manouane se présente clairement comme un film prolétarien. Tous les éléments de ce document expriment la réalité du travailleur et naissent de l'approche du milieu (que l'on pense simplement à l'utilisation des chansons des bûcherons comme exemple de cette expression du travailleur par lui-même). Ici, l'appartenance de classe ouvrière du cinéaste est probante et la force de revendication du film tient justement à cette adéquation dépouillée entre le bûcheron et le cinéaste. Lamothe mous montre de fait comment la dépossession du Québécois découle directement du colonialisme anglo-saxon.
De plus, les moyens que Lamothe emploie pour soutenir son propos ne s'articulent pas autour de ficelles cinématographiques arbitraires qui pourraient sublimer le monde du bûcheron et par le fait même, désamorcer le propos. Le travelling du début, par exemple, situe concrètement l'éloignement, le froid et le déracinement propres à cette réalité et appuie ‹ informativement et émotivement ‹ le constat politique. La voix off se contente de nommer les faits (causes et effets) sans se situer au-dessus du débat. On voit ainsi la dépossession sous plusieurs angles: afffectivement, économiquement et psychologiquement. La subjectivité de l'auteur disparaît derrière l'analyse objective et le constat politique. Bûcherons de la Manouane reste aujourd'hui un exemple privilégié d'une démarche cinématographique au service d'une réalité ouvrière. (17, p. 3)

Jean-Pierre Bastien : C'était ton premier film comme cameraman. Tu avais déjà à surmonter ta peur de ne pas être capable de le faire. Avais-tu l'impression que le film était bien préparé et qu'Arthur savait exactement ce qu'il voulait? Bernard Gosselin : Arthur avait eu le temps de repérer des gens et de trouver certains filons. Il avait une philosophie avec laquelle je n'étais pas tout à fait d'accord parce que dans le fond, il cherchait un peu la bête... moi j'ai toujours eu de la misère à faire du cinéma qui cherche des bêtes. (9, p. 10)

Analyse

Résumé : Dans la haute Mauricie, 165 bûcherons passent l'hiver à couper sapins et épinettes, à les jeter dans la rivière Manouane qui les transportera au moulin d'une grande papetière. Le film les montre au travail et expose leurs conditions de vie.

Sujets et thèmes : Travail et conditions de vie d'un bûcheron, travail sous-payé, camps fermés, gars qui ´djompentª, froid, hiver, forêt, travail, cheval, accidents, ennui, éloignement, chantiers, papier journal, Indiens, neige, musique western, chansons, dépossession.

Traitement : De très belles images en noir et blanc, tant à l'intérieur (buée au dessus des assiettes, fumée) qu'à l'extérieur, décrivent bien les lieux et les personnes. Des travellings lents à l'intérieur sont remarquables. Le cameraman utilise surtout des plans américains et quelques gros plans, surtout des Indiens. Personne n'est vraiment mis en évidence. Une partie des images est reitérative (coupe du bois, camions qui déchargent dans la rivière) sans ajouter au réseau de signifiants. L'ensemble est structuré comme si tout se passait en une journée: on se rend au travail avec le lever du jour, le travail, le repas, travail de nouveau, passe-temps le soir (chansons). On a monté le tout par associations d'idées et de thèmes, en enchevêtrant les séquences. Une narration en voix off fournit des informations impossibles à passer par l'image, mais on entend surtout des bruits d'ambiance (souvent non synchrones avec l'outil représenté, pour créer un effet de distanciation), quelques interviews de témoignages (peu), mais non synchrones. Plusieurs scènes évoquent une mise en scène : Lamothe a toujours convenu lucidement que le documentaire ne peut se passer de mise en scène, ce qui, loin de lui enlever de la vérité, permet plutôt de mieux réfléchir et interpréter la réalité.

Contenu : Dans l'ensemble, la critique fut très positive, sauf pour Basile au Devoir. Lavallée à Séquences met quelques réserves et Pilon à Objectif le trouve un peu surestimé (voir 19, p. 21). Le simple fait qu'on le retrouve dans presque toutes les sélections indique sa renommée, justifiée. Rares sont les courts métrages documentaires qui ont autant retenu l'attention. Tout le monde vante sa qualité d'information, son regard humain sur son sujet, sa force de constat. Je trouve assez amusant de voir les pirouettes de Patry, à deux ans d'intervalle, qui admire d'abord le film ´à la première personneª, puis souligne que toute subjectivité est disparue! Lamothe raconte à plusieurs reprises ‹ dans Maintenant (8, p. 316), dans Cinéma d'ici (10, p. 88) et c'est évoqué dans 14, p. 64 ‹ que son commentaire a été censuré par l'ONF. Les détails évoqués (le nom de la compagnie qui exploite ce chantier, le fait que les forêts appartiennent à l'Etat, l'anglais comme langue des maîtres, l'école trop éloignée pour les jeunes Indiens) auraient donné, selon lui, encore plus de mordant au texte.
Normand Ouellet, dans le Dictionnaire de Coulombe-Jean, dit que ce film ´marque les débuts du cinéma socialement engagéª (16, p. 265). Cela me semble abusif. Car les films de ´Panoramiqueª allaient aussi loin dans le constat et fournissaient des indicateurs plus puissants pour une prise de conscience globale. Il est évident dès le début que Lamothe est bien rangé du côté des travailleurs et qu'eux seuls ont sa sympathie, mais il n'est ni le premier ni le seul à le faire.
Je crois que ce film a constaté admirablement la situation des bûcherons de l'époque. Ayant eu l'occasion de visiter certains chantiers et ´campesª dans ces mêmes années, je puis attester de la vérité de l'image, qui est fort évocatrice, surtout si on la considère en relation avec les chansons (´Quand arrive le dimanche, il faut se reposer, laver notre linge et puis le repriser...ª). Quand on sait qu'il n'y avait ni douches ni bains, que les hommes ne se lavaient pas vraiment et ne changeaient de linge qu'une fois par semaine, on peut (Le peut-on?, Non, impossible!) imaginer ce que cela pouvait sentir dans ces dortoirs surchauffés et sans aucune intimité possible... Il nous ramène à cette époque où il n'y avait pas de télévision dans ces endroits éloignés et où les loisirs se résumaient à lire des photo-romans, à écouter le copain gratter la guitare et chanter du western ou des ballades racontant son propre quotidien, à écrire à ses parents ou à sa blonde
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