De Montréal à Manicouagan.
http://www.cam.org/~lever/Films/films.html 2002/02/02
16 mm, n. & b., 27 minutes 25 secondes, 1963, séries ´Ceux qui parlent françaisª, ´Temps présentª

Canada. L'Office national du film présente Ceux qui parlent français. De Montréal à Manicouagan . Un film d' Arthur Lamothe. [Générique de fin] Réalisation : Arthur Lamothe. Images : Jean-Claude Labrecque, Guy Borremans. Enregistrement du son : Claude Pelletier. Montage : Victor Jobin. Trame sonore : Maurice Blackburn, Bernard Bordeleau. Mixage : Ron Alexander, Roger Lamoureux. Production : Fernand Dansereau. L'Office national du film. Canada. MCMLXIII.

Note : N'apparaît pas au générique : Narrateurs : Henri Norbert, Maurice D'Allaire

Tournage : Novembre et décembre 1962
Coût : 28 660 $
Titre de travail : Manicouagan
Copie : ONF archives, Cinémathèque municipale de Montréal

Ce qu'on en a dit :

Robert Daudelin : De Montréal à Manicouagan (...) est une oeuvre mineure : ´un dédale d'imagesª, dira un critique [Jean Pierre Lefebvre dans Objectif, no 28]. Certains moments, certaines ´imagesª échappent parfois au chaos pour nous rappeler les préoccupations de Lamothe, son souci du social, mais le film n'existe pas vraiment. Ce qui aurait pu être une nouvelle méditation, une version moderne des Bûcherons, n'existe que virtuellement. (1, p. 53-54)

Yvan Patry : De Montréal à Manicouagan (...) reprend le même thème (du déracinement), mais cette fois-ci dans une approche plus sociale et souvent esthétisante (exemples : reflets du soleil sur l'eau, voyage ´poétiqueª de la goélette). En effectuant ce long périple, Lamothe tente surtout d'établir une continuité à même le Québec après le constat de son premier film. Au-delà du temps (le cinéaste d'origine française y glisse quelques notes historiques) et de l'espace (il parcourt plus de 3000 milles) [Au fait, Patry ou Lamothe exagère ici : il n'y a pas tout à fait mille milles, ou environ 1500 kilomètres, entre Montréal et le barrage en question... ], il cherche à retrouver les racines profondes du peuple québécois, à montrer son unique identité. Ce n'est qu'àprès cette démarche, nous dit Lamothe, qu'on pourra donner forme à notre lutte.
Le film ébauche surtout La Neige a fondu sur la Manicouagan . (...) C'est pourquoi De Montréal à Manicouagan se présente avant tout comme une oeuvre de transition : Lamothe y tente une nouvelle méthode du cinéma direct, assez près du documentaire de télévision (il interview entre autres le fils d'un constructeur de goélettes, presque subitement sorti du Jean-Richard de P. Perrault [sic]. Sa facture plus sinueuse avec mélange de points de vue essentiellement descriptifs et une bande sonore personnalisée, en fait une oeuvre moins unifiée ´poétiquementª que Bûcherons de la Manouane. (4, p. 118)

Analyse

Résumé : A la fin de l'automne, un ´reporterª embarque sur le dernier bateau à aller porter le ciment servant à fabriquer les millions de tonnes de béton du barrage no 5 sur la rivière Manicouagan. La descente du fleuve fournit l'occasion de rappeler diverses considérations historiques et sociologiques. Au barrage, il interview des ingénieurs au sujet des travaux et enquête sur les conditions de vie des travailleurs.

Sujets et thèmes : Manic 5 (aujourd'hui Barrage Daniel-Johnson), travail, ingénieurs, machines, fleuve Saint-Laurent, Montréal, Trois-Rivières, Donnaconna, Québec, île d'Orléans, île aux Coudres, goélettes (voitures d'eau), forêt, campement, béton, construction, langue française, nationalisme, Indiens, nomadisme.

Traitement : Comme le mentionne Patry, ce documentaire se rapproche du reportage télévisuel. L'actualité du sujet, les images du travail et des machines, les interviews en plans rapprochés, d'audacieux travellings le long des rues, le rythme rapide de succession des scènes - presque toutes très courtes - donnent des images souvent spectaculaires et accrochent fortement le spectateur. Il en diffère toutefois par l'emploi du je dans le commentaire - un je que l'objectivité n'obsède pas -, l'ampleur donnée à l'´enquêteª, le souci d'aborder un grand nombre de questions différentes dont les liens avec le barrage ne sont pas tous évidents, son souci d'aller voir au-delà des apparences. Le commentaire, très travaillé et parfois ampoulé, ajoute un grand nombre d'informations de tous ordres impossibles à communiquer par l'image (rappels historiques, renseignements scientifiques ou sociologiques). Le montage suit la chronologie du voyage, mais l'insertion de la séquence avec les marins de la goélette St-Yves - filmée par après - amène une digression de peu de signification.

Contenu : On peut accuser ce documentaire de confusion et de construction malhabile, mais personne ne lui reprochera de manquer d'ambition! En effet, partant de Montréal pour se rendre au barrage sur la Manicouagan, le fictif reporter en profite pour souligner des aspects sociologiques de cette ville. Contre toute logique, il se rend en bateau jusqu'à Baie-Comeau, mais c'est pour saluer l'île Sainte-Hélène (où Lévis a brûlé les derniers drapeaux français de la colonie), Varennes, Contrecoeur, Trois-Rivières, Donnaconna et son immense moulin à papier (salut les bûcherons...!), Québec et sa falaise (où Montcalm croyait que les Anglais ne pourraient jamais grimper), l'île d'Orléans aux hivers longs et aux fermes petites, la région de l'île aux Coudres où l'eau devient salée - et pourquoi pas saluer les gens de Neufve-France ? On se croirait presque dans un film de Perrault, mais d'un Perrault historique et non mythique. De Baie-Comeau, c'est en avion qu'il va survoler le site du barrage. Belle occasion de mentionner qu'il se situe sur le territoire des Indiens Bersimis. Il observe bien sûr les travaux, mais préfère aller regarder comment cela se passe à la cafétéria, quelle éducation on donne aux enfants. Aux ingénieurs interviewés, il parle davantage de l'isolement des travailleurs et de l'influence de la nature sur les travaux que des aspects techniques de la construction; il prend plaisir à leur faire dire qu'au moins 90 % parlent français et que de chantiers en chantiers ils deviennent de plus en plus compétents. Il justifie ainsi très bien sa participation à la série ´Ceux qui parlent françaisª.
Les notes portant sur la fierté de réaliser des ´travaux exemplairesª, pour reprendre une expression de Bûcherons de la Manouane qui convient mieux ici, combinées à celles qui insistent sur la langue conservée malgré les aléas de l'histoire prennent une saveur nationaliste tout à fait prégnante dans le contexte de la Révolution tranquille. De plus, ce nationalisme-là se projette dans la modernité avec son insistance sur les nouvelles compétences acquises, sur l'excellence des techniques, sur la ´conquête du solª que signifient ces harnachements de rivières et sur les nouvelles possibilités de prospérité économique. Le nom de Manicouagan est d'ailleurs en train de s'élever au rang de symbole collectif du nouveau Québec. Dans La neige a fondu sur la Manicouagan , on apprendra que ce mot indien signifie ´gobelet pour boire, fait d'écorce de bouleauª.
On ne retrouve pas dans De Montréal à Manicouagan la chaleur humaine que Lamothe avait manifestée l'année précédente pour les bûcherons, ni la même rigueur et richessse esthétique, mais ce film est un des meilleurs révélateurs du climat de la Révolution tranquille par son regard sur la construction d'un nouveau Québec et son incitation à une affirmation nationale élargie à tous les secteurs de la vie.

Bibliographie

1. DAUDELIN, Robert, Vingt ans de cinéma au Canada français, 1967, p. 53.
2. GAY, Richard, ´Sans micro ni caméraª, Maintenant, 91, décembre 1969, p. 316-319.
3. LEFEBVRE, Jean Pierre, ´Petit éloge des grandeurs et des misères de la colonie française de l'Office national du filmª, Objectif, no 28, août-septembre 1964, p. 12.
4. PATRY, Yvan, Le cinéma québécois : tendances et prolongements, 1968, p. 116-120.
5. PATRY, Yvan, Arthur Lamothe, Cinéastes du Québec, 6, 1971, p. 3.