Arthur Lamothe au pays des Chamans
1992/12/08
Le Devoir
Trudel, Clément

L'ÉCHO DES SONGES

Documentaire sur l'art autochtone contemporain, réalisé par Arthur Lamothe et produit par les Ateliers audio-visuels du Québec et l'ONF. Musique de Jean Sauvageau. 80 minutes. Ce soir et jeudi, 8 et 10 décembre, au cinéma de l'ONF, 1564 Saint-Denis, angle de Maisonneuve, à 20h. (Également disponible en version abrégée de 52 minutes).

Tous les artistes amérindiens n'ont pas le rayonnement d'un Norval Morisseau (Ojibway) ou d'un Bill Reid (Haida); Morisseau recommandait d'ailleurs aux artistes de ne pas se prendre trop au sérieux, mais qui sait que les autochtones ont déjà formé leur propre Groupe des Sept pour tenter de conjurer la tiédeur générale envers leurs oeuvres? L'Écho des songes nous présente plus de quarante peintres et sculpteurs; il nous met en contact avec l'architecte Douglas Cardinal (Blackfoot) qui a conçu le splendide Musée canadien des civilisations, à Hull, le peintre Robert Houle (Saulteux) et le métis Domingo Cisneros. Vivian Grey (Micmac), directrice du Centre d'Art indien, et Gerald McMaster (Cri de Saskatchewan) servent le plus souvent de cicérones pour cette incursion dans un monde d'où le chamanisme n'est jamais évincé, ainsi que l'évoque Jane Ash Poitras, Cri de l'Alberta, au tout début du film.

Il s'agit d'un art qui a su dans l'ensemble se dégager de formes d'art dit «indien», s'adaptant tout autant à l'abstrait qu'à la veine des collages. Des séquences filmées à Amsterdam en 1985 portent cependant à conclure qu'il peut être rentable de passer, en Europe, pour le dernier des Mohicans en peinture ou en sculpture, ce que met à profit de manière un peu cabotine Clifford Maracle (Iroquois de New York), tranchant en cela avec la réflexion d'un Carl Beam (Ojibway) devant le monument à Anne Frank. Beam diagnostique un «déséquilibre psychique» dans la civilisation européenne trop souvent acculée à des tensions - propos qui, au montage, ont dû apparaître moulés sur cet univers autochtone qui exprime ses sentiments et ce qui le sépare des polarisations maléfiques des Occidentaux.

Ce film dont le titre anglais est Shaman never die s'ajoute aux multiples documents que l'année du 500e anniversaire de Colomb voit paraître. Par moment accusateur - sur la question des écoles de résidence, creuset de déculturation, il fustige les excès commis par le «Département des sauvages» (sic) - ce documentaire me semble surtout être un monument à la survivance et au dynamisme des autochtones, à leur faculté de demeurer fidèles à la pensée de leurs aïeux tout en embrassant une modernité rendue d'une manière chatoyante.
Robert Houle, ancien conservateur de collection amérindienne, pose très bien le dilemme d'un accès au moderne qui ne doit pas gommer la spécificité, l'«uniqueness» des artistes autochtones. Le Déné Alex Janvier se dit d'ailleurs persuadé que «le nouveau sentier sera le même que celui qu'avaient emprunté les anciens».

Pour ce qui est des manifestations artistiques d'Amérindiens au Québec, Arthur Lamothe a su capter la force de certains des sculpteurs et peintres présents à un symposium tenu à Kahnawakhe en 1991 - particulièrement celle de Steve McComber (Iroquois). Il est allé aussi recueillir dans leurs ateliers les propos des Montagnais Diane Robertson et Thomas Siméon, de l'Algonquin Edmond Vincent, etc. tout en mettant à profit le succès que remporte le duo Kashtin (Tornade) partout où il se produit.

Voir L'écho des songes, c'est se rendre compte à quel point le créateur est celui qui exprime ses rêves et qui sait capter ceux des autres. Lamothe s'est appuyé sur une recherche réalisée en 1985 pour ce film qui, sauf erreur, est le premier documentaire consacré aux courants contemporains chez les artistes autochtones. Pour une exposition au Musée de l'Homme, à Paris, on a déjà produit un film entier sur Bill Reid, mais ce film récent demeure l'un des rares à vouloir présenter une vision d'ensemble d'artistes qui nous renvoient à la Mère Terre sans recours à l'exotisme.