La vie rouge en rose
1994/04/18
Le Devoir
Tremblay, Odile

Terre en Vue rend hommage au cinéaste Arthur Lamothe

C'était avant l'été des barricades, avant que les Montagnais ne revendiquent les rivières à saumons, que les Cris ne vouent les barrages au poteau, que les Warriors ne se recyclent dans la contrebande, que les journalistes, battant leur coulpe, ne s'avouent racistes et dépassés. Avant que la mer rouge ne s'ouvre à Oka, qu'on y déterre la hache de guerre et que la cagoule de Lasagne n'anéantisse dans les chaumières québécoises le mythe du bon sauvage.

Du temps où Indiens et Blancs s'ignoraient souverainement les uns les autres. Et cohabitaient pourtant.

Au cours des années 50, un Gascon nommé Arthur Lamothe s'installait au Québec. Dans son Saint-Mont natal, il avait rêvé de grands espaces, d'Indiens sauvages et de tomahawks sanglants. Outre-Atlantique, il trouva des villes remplies de catholiques et de protestants, tous Blancs de Blancs. Mais plus au Nord, en Abitibi, un beau jour, l'immigrant eut une surprise. C'était près du lac Simon. Dans le camp de bûcherons où il "jobbait", des Algonquins venaient couper eux aussi ce bois brûlé qui noircit les mains. Couchant sous la tente avec femmes et enfants, devisant "indien" entre eux. "On parle donc indien au Canada", s'est dit le Gascon, étonné.

Il chercha donc à étancher sa curiosité.

Quarante ans plus tard, Arthur Lamothe est ce cinéaste à qui Terres en Vue, le Festival du film et de la vidéo autochtones consacre un hommage cette semaine à Montréal. Aujourd'hui et jusqu'au 25 avril, le Goethe Institut et la Maison de la Culture Côtes-des-neiges présentent ses 17 longs métrages consacrés aux amérindiens.

Car bien avant l'été rouge, quand personne ou presque ne s'intéressait aux questions autochtones, Arthur Lamothe en connaissait un bout sur les premières Nations. Allez donc écouter ses histoires.

S'il subsiste encore des scènes animées de certaines traditions disparues, de légendes illustrées chez les Montagnais, c'est grâce aux films d'Arthur Lamothe, nés pour la plupart d'une étroite collaboration avec l'anthropologue Rémi Savard. C'est à Lamothe qu'on doit le souvenir des tentes des Montagnais de St-Augustin près du Labrador avant leurs sédentarisation, du wagon réservé aux Indiens dans l'apartheid du train du Labrador. À lui les seules images d'une "tente à suer" où les chasseurs entraient en contact avec l'esprit du castor.

"Être Indien, ce n'est pas un cadeau", soupire le cinéaste aujourd'hui, en caressant la tête du Grand Héron de bois posé debout dans son salon montréalais où il me reçoit en entrevue. "La réserve, c'est le tiers-monde. Une espérance de vie de vingt ans moindre que chez les Blancs. Une criminalité beaucoup plus forte. Et des injustices. Les gens identifient tous les autochtones aux warriors, les croient remplis de privilèges, mais combien de Québécois savent que les Indiens possèdent un statut spécial qui les empêche de faire un testament?"

Inutile de rétorquer à Arthur Lamothe que les autochtones sont en partie responsables du maintien de la Loi sur les Indiens... Il a épousé leur cause et la défendra comme sa vie.

Au fil des ans, ses films sont devenus moins ethnologiques, plus politiques... En 69 dans Les bûcherons de la Manouane, des familles Attikameks se contentaient de vivre sur pellicule. Avec Ntesi Nana Shepen (On disait que c'était notre terre), en 76, il élevait le ton. En 92, le documentaire La Conquête de l'Amérique volait à la défense des droits territoriaux des Montagnais de la Côte-Nord.

Un jour, le chef de la réserve de Sept-Îles le remercia d'exprimer à la place de son peuple leur dépossession du pays, eux premiers habitants réduits à des conditions misérables, regardant le train du Labrador transporter les montagnes indiennes à Sept-Îles. Attendez qu'Arthur Lamothe se rappelle... "René Lévesque se mettait en colère quand il était question d'Indiens. Le sujet le rendait trop mal à l'aise..."

Le cinéaste n'a jamais montré un Indien saoul. Question de principe. Pas d'enfant en train de se piquer, pas de grand-mère en train de tituber, pas de scènes de violence, ni même la misère dans son aspect sordide. La vie rouge en rose, l'empathie sans frein, l'amour sur pellicule.

Quand a éclaté "la crise", il s'est senti du coup bien malheureux, écartelé même. À voir le déferlement de haine contre les Indiens ses frères, et, lui-même pacifiste, de voir défiler tous ces warriors armés... Le combat politique était entré dans une autre phase, qui lui échappait désormais.

Son dernier film L'Écho des songes faisait un retour sur l'art, qu'il définit comme "la voie royale pour comprendre l'inconscient des peuples". Le prochain explorera l'art inuit.

Aujourd'hui il veut passer la main, applaudissant ce premier long métrage de fiction de Roland Volland, ce Montagnais qui fut son stagiaire. Unikapu, qui ouvre le festival Terres en vue aujourd'hui, illustre (sur une distribution uniquement montagnaise) les problèmes des jeunes assis entre deux cultures: la drogue, la cocaïne, le désarroi, à travers un oeil indien. "La parole politique appartient aux autochtones maintenant" estime le cinéaste."Bientôt, la Côte-Nord reviendra aux Montagnais". Nouvelle revanche des berceaux? Quand Lamothe tournait à Natashquan en 1977, la réserve comptait 300 âmes. En 92, il eut la surprise d'y trouver une population doublée. "L'avenir d'un peuple est contenu dans l'image qu'il a de lui-même, estime-t-il. Les langues autochtones sont enseignées à l'école. On parle des Amérindiens à la télévision, dans les journaux. Les jeunes relèvent la tête. Plus besoin pour eux de se folkloriser. Le futur, ils l'investiront, non pas en raquettes mais en ski doos."