Au jour le jour, rue de Chateauguay
2002/06/10

Hier matin, levé tôt, deux chardonnerets picoraient à deux pas de la fenêtre, dans la mangeoire suspendue à la corde à linge que j'ai posée. Bientôt suivis d'autres. Ce matin, pas un. Comme les postiers, ils doivent préparer la grève... Face à moi, contre la clôture de bois rouge brun, sur le gravier tassé de la cour, les rosiers grimpants ont de nouvelles roses, qui remplacent la floraison magique du printemps sous laquelle ils croulaient. Seul un édifice de trois étages, à appartements, neuf, en parpaings gris sale, outrageusement carré, pollue irrémédiablement mon champ de vision. C'est terrible ce que les hommes infligent à la nature.

La voisine du côté n'a pas commencé de crier, de sa voix aiguë et de son balcon du 2e, contre sa fille de 4 ans Shelley. Elle vit du BS et de certains appoints, la voisine, comme beaucoup d'autres. Véritable manne du quartier le chèque du BS qui arrive régulièrement une fois par mois. Par la poste. Pas besoin de se baisser pour le ramasser. Le progrès ! Le quartier offre, dans des restaurants environnants, des repas gratuits ou semi-gratuits. Il possède aussi des services sociaux efficaces et un CLSC dynamique. Pour y vivre, il faut accepter un voisinage d'êtres ternes, se promenant en exhibant sans pudeur, durant l'été, leur surcharge pondérale. Tant hommes que femmes. Je ne m'y suis pas habitué. C'est une des raisons pour laquelle j'ai planté lilas, vigelas, fleurs, vignes et rosiers en arrière. Si possible le long des murs et clôtures, en prenant soin de respecter l'espace du sacro-saint total parking auquel des voisins vouent un culte, même s'ils n'ont pas de char. Le voisin d’à côté est de cet ordre. Il voue un culte à la gravelle concassée, me reprochant d’aimer les fleurs et m’incitant à suivre son exemple, s’asseoir à la journée longue sur la devant, pour jouir du spectacle, plus que déprimant d’après moi, des quelques prolétaires et des plus nombreux BS arpentant les trottoirs et alimenter ses médisances. Au demeurant très propre, sa femme âgée, timide, effacée, aux cheveux noirs teints, fait tous les jours, tous les matins, la lessive à 6h et garni immanquablement à 7h, par atavisme, hiver comme été, sa longue corde à linge qui traverse la cour ! Puis ils s’installent sur le seuil de la porte donnant sur la rue, calés dans leurs fauteuils, enregistrant les allées et venues de chacun pour pouvoir bavasser à leur aise. Respectant l’ordre hiérarchique et fiers de voter Libéral. Jugeant de haut leur voisine d’en haut changeant de compagnon chaque semaine. Eux, des gens comme il faut, des gens à leur place, des gens biens. Fiers de leur lointain cousin avocat. Jamais je ne les ai vus tenir journal, livre ou imprimé. Triste fin de prolétaires honnêtes. Qui me renvoient au peuple québécois d’il y a 50 ans, cultivant l’amnésie, pensant évacuer ses stress. Et pouvoir ainsi arriver à subsister comme peuple irrémédiablement dominé par les Anglais. Né pour un petit pain !

Dans ce coin de rue, tout le monde est canadien français. Comme dans mon immeuble qui maintenant, suite à la pénurie de logements, possède une majorité de jeunes couples québécois avenants, ouverts, sympathiques, ayant trouvé loyer dans ce quartier déshérité. Et aimant les fleurs ! Mais l’édifice continue d’être entouré d’HLM et de quasi-taudis avec leur population traditionnelle et attaviquement paresseuse de grands gueulards de quartiers pauvres. Heureusement des noirs, sveltes, élégants et francophones, de plus en plus nombreux, au coin des rues attendent les autobus. Sur le coin des rues Ropery et Centre, un dépanneur en produits africains s’implique dans l’Association des Congolais de Pointe Saint-Charles ! En face, et à côté des deux impressionnantes églises catholiques vides et de leurs immenses presbytères d’un autre temps, une humble mosquée se remplit tous les vendredis de minorités visibles, allant du très noir des Africains au brun des Pakistanais. Les Témoins de Jéhovah viennent d’inaugurer leur gros édifice de culte sur cette même rue abritant tant de lieux de réunions pour des sectes ou des communautés chrétiennes dissidentes.